Dossier Spécialisé

Grand carénage : Le dépoussiérage d'un parc nucléaire français vieillissant ?

  L'exploitation de l'énergie nucléaire nécessite un haut niveau de sécurité et de technologie. C'est pourquoi cette industrie n'est développée qu'exclusivement dans les pays les plus industrialisés. 

  Il faut savoir qu'en France, l'énergie nucléaire est ancré dans notre histoire.  

1- Le parc nucléaire français aujourd'hui

  C'est en 1898 que débute cette épopée. Cette année-là Pierre et Marie CURIE découvrent le thorium. Suite à cette découverte ils vont mettre en évidence le premier élément radioactif issu des minéraux : le polonium.

  En parallèle, ils étudieront les différents types de rayonnements issus de ces matériaux. Les découvertes sur l'atome et la radioactivité vont ainsi se poursuivre jusqu'au début de la Seconde Guerre Mondiale.

  En 1939, l'Europe entre en guerre et la poursuite des études atomiques va prendre un tout autre tournant. L'Allemagne est presque en possession de la bombe atomique. La France crée donc une équipe de recherche qui va, au fil de l'avancée allemande se déplacer au Royaume-Uni puis au Canada pour aboutir aux Etats-Unis. C'est Outre-Atlantique que les plus grosses avancées militaires nucléaires vont se faire avec la mise au point et l'utilisation de 2 bombes nucléaires.

  A la fin de la guerre, l'équipe française retourne à Paris et va, sous le gouvernement provisoire présidé par le Général DE GAULLE développer de nouvelles applications à l'énergie atomique. Pour rester en première ligne des puissances mondiales en période de Guerre Froide, la France va s'orienter vers un armement nucléaire autonome. Les premiers essais vont se succédés et les premiers sous-marins nucléaires français vont voir le jour notamment avec « Le Redoutable ». Toutes ces découvertes dans le domaine militaire vont permettre une transition vers une production publique d'électricité. Le CEA va donc passer le témoin à l'entreprise publique chargée de la production d'électricité : EDF. Les premiers réacteurs de production vont voir le jour entre 1966 et 1971.

  C'est à partir des années 1970 que le programme nucléaire français va prendre une tout autre dimension. Avec les différents chocs pétroliers, le passage au « tout nucléaire » en France va s'intensifier. Entre 1979 et 1999, 58 réacteurs nucléaires vont se répartir sur tout le territoire pour produire 75 % de l'énergie française.

  En France, le nucléaire représente la première source de production d'énergie. Elle est de loin l'énergie la plus utilisée et l'une des fierté du pays. On trouve après l'hydraulique et le gaz qui sont 7 à 10 fois moins utilisés. En France, il est souvent question de production d'énergie décarbonée. C'est-à-dire une production qui n'émet pas ou peu de carbone. Cette énergie décarbonée est d'une grande importance de nos jours. C'est pourquoi le pays promeut ce savoir-faire et cette maîtrise de la production mais aussi de la gestion des risques de l'énergie nucléaire.

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  Il faut savoir qu'en France, la production d'énergie nucléaire en 2019 à reculé de 3.5% par-rapport à 2018. Cette baisse de production n'est pas due à une baisse de consommation des français mais plutôt à une volonté de l'Etat de réduire la part de l'énergie nucléaire dans le mixe énergétique français. Ces 3.5% de pertes ont donc été compensés par l'achat d'énergie à nos voisins européens tel que l'Allemagne mais aussi par le développement de nouvelles sources de production.

  Pour produire les 380 TWh d'énergie nucléaire annuel, la France compte aujourd'hui 57 réacteurs depuis l'arrêt de Fessenheim 1. Ces 57 réacteurs ne représentent pas 57 centrales. Cela serait bien trop coûteux et difficile à gérer. Ainsi, les 57 réacteurs nucléaires français servant à la production d'énergie se répartissent sur 19 centrales.

  Avant de commencer, il est important de de rappeler le principe de fonctionnement et les organes principaux d'une centrale nucléaire. Dans la majorité des centrales, on trouve 3 bâtiments.

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  Le premier que l'on nomme bâtiment réacteur, contient la cuve du réacteur et le circuit primaire. C'est dans cet espace que l'on va trouver les matières radioactives. Celles-ci vont émettre de la chaleur. Ensuite, le générateur de vapeur dans le circuit secondaire va créer de la vapeur d'eau sous pression.

  Dans le deuxième bâtiment, on trouve la salle des machines. C'est ici que la vapeur générée va entraîner une turbine puis un alternateur pour transformer l'énergie mécanique en énergie électrique. Pour refroidir cette vapeur d'eau avant qu'elle ne reparte dans le générateur de vapeur, on utilise un condenseur. Ce condenseur est lié au circuit de refroidissement. L'eau froide, va permettre à la vapeur de se condensée pour retourner à l'état liquide.

  Ce circuit de refroidissement est situé dans l'aéroréfrigérant. Ces grandes tours qui émettent une épaisses fumée blanches sont tout simplement d'immenses radiateurs créés pour refroidir le circuit secondaire. Ainsi, les matières radioactives sont isolées dans le bâtiment réacteur et ne sont jamais en contact direct avec l'extérieur.

  Maintenant que l'on sait comment fonctionne une centrale nucléaire, nous allons nous intéresser à leur répartition.

  La répartition des centrales ne se fait pas au hasard. En effet, en France le refroidissement des réacteurs se faisant principalement via l'eau, les centrales sont toutes situées à proximité d'un fleuve, d'un cours d'eau ou proche de la mer. 

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  Comme on peut le voir sur la carte, les réacteurs français ne sont pas tous de même puissance. Les premières tranches construites en France avaient une puissance de 900 MW. Ils sont aujourd'hui au nombre de 33 sur le territoire. Les réacteurs de 1300 MW sont venus après et représentent 20 réacteurs. Les 4 derniers réacteurs sont dotés d'une puissance de 1450 MW et sont les plus récent. Mais avec la construction de l'EPR (Evolutionary Power Reactor) à Flamanville, le nombre de réacteur français va augmenter et la puissance fournie par cette nouvelle tranche sera de 1600 MW. C'est l'une des plus puissante jamais construite de nos jours. Actuellement, il existe 6 EPR dans le monde dont 2 sont en service en Chine, 1 en construction en France, 1 en construction en Finlande et 2 en construction au Royaume-Uni.

2 - Présentation du projet de grand carénage et ses différents acteurs 

  Comme nous l'avons vu précédemment, le parc nucléaire français est âgé de 40 ans pour les plus vieilles centrales. Elles ont été conçues pour produire de l'énergie nucléaire pendant au moins 40 ans. Elles arrivent donc potentiellement en fin de vie. Mais ces 40 ans de productions sont une échéance technologique. Ils ne marquent pas l'arrêt définitif d'une centrale car ils sont issus d'une hypothèse de conception.

  Le projet de grand carénage, lancé en 2008 par EDF vise donc à prolonger la durée d'exploitation du parc nucléaire français jusqu'à 50 ans voire plus.

  Pour Philippe Sasseigne, directeur du parc nucléaire et thermique, le Grand Carénage est « Un axe fort de stratégie économique d'EDF pour contribuer à la transition énergétique. Une transition dont l'objectif est de décarboner l'énergie et en particulier l'électricité ». L'objectif, d'ici à 2030, est de renforcer la place d'EDF en tant que leader des énergies bas carbone.

  Avec la loi de transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015, la production d'énergie nucléaire est vouée à baisser pour atteindre 50% du mix énergétique français. Cette réduction ne ferme pas la porte à la construction de nouveaux réacteurs et s'oriente plutôt vers une préparation de l'avenir pour EDF. Ce projet s'inscrit dans une démarche de sécurité déjà établi par EDF depuis le lancement du programme nucléaire français. La sûreté du parc nucléaire français est basée sur un système décennal. Durant ces visites, sortes de contrôle technique mais à l'échelle d'une centrale, la production est arrêtée et une partie du combustible nucléaire est changée. En parallèle, des tests et essais spécifiques de grande ampleur sont réalisés.

  On réalise en premier lieu une mise à l'épreuve du circuit primaire. La pression est augmentée jusqu'à 200 bars au lieu des 150 bars de pression nominale.

  Ensuite, une inspection de la cuve du réacteur à l'aide d'un robot est effectuée. Il va contrôler l'intégrité de toutes les soudures et le revêtement.

  Enfin, l'enceinte est mise à l'épreuve. Le bâtiment est gonflé à l'aide de compresseur pour atteindre 5 fois la pression atmosphérique et vérifié la résistance de l'enceinte du bâtiment.

  Des maintenances et des changements sont aussi effectués sur tous les organes de sécurité et de production du réacteur. Un bilan réglementaire est aussi réalisé pour s'assurer du respect des nouvelles normes. Chaque visite décennale dure environ 5 mois. Durant tout le déroulé de ces opération, l'exploitant doit prendre en compte les retours d'expériences sur les précédents accidents tels que Tchernobyl (1986) ou Fukushima (2011) et remettre à niveau tous les équipements suivant les nouvelles normes en vigueur.

  Pour plusieurs centrales, l'année 2020 marque la 4e visite décennale. L'ampleur et le volume des travaux futur à réaliser suite à ces visites reste inégalé dans l'histoire du parc nucléaire français.

  Le projet de Grand Carénage est donc un chantier d'une très grande ampleur. Il va mobiliser toute la filière nucléaire française soit près de 2 600 entreprises et 220 000 hommes et femmes sur tout le territoire. Pour le moment, le coût de cette opération est évalué à 45 milliards d'euros. Un chiffre en baisse dû à la fermeture de 2 réacteurs à Fessemheim par l'Etat.

  A la fin de chaque visite décennale des réacteurs âgés de 40 ans et en fonction des travaux réalisés dans le cadre du projet Grand Carénage, l'ASN (Agence de Sureté Nucléaire) se prononcera sur l'allongement ou non à 50 voire 60 ans de la durée de vie de certaines tranches. EDF est confiant et compte bien réussir cette 4e visite décennale.

3 - Les avantages de ce projet ambitieux 

Selon EDF, cela ne fait aucun doute, le Grand Carénage est et sera rentable.

  Le principal objectif est de prolonger la durée de vie des tranches les plus vieilles. Pour cela, la sécurité est au cœur du projet. En effet, depuis 2011 et l'accident nucléaire de Fukushima, l'opinion publique française sur le programme nucléaire publique est très balancée. Pour rassurer les citoyens, depuis 2016, EDF a mis en place un groupe d'intervention pour la sécurité nucléaire : La FARN (Force d'Action Rapide du Nucléaire). L'objectif de ce groupe est d'intervenir en moins de 24h sur un site nucléaire pour y rétablir le courant, l'eau et l'air afin d'assurer au mieux la sécurité du réacteur et des populations alentours. Le principal objectif lors d'une intervention est d'éviter la fusion du réacteur et la libération de particules radioactives dans l'air ambiant.

  De plus, le projet Grand Carénage compte mettre en place des bassins de récupération du réacteur en cas de fission de celui-ci. Ce genre de système est déjà en place notamment sur l'EPR de Flamanville et EDF compte le généraliser à toute ses centrales. En plus d'une amélioration de la sûreté nucléaire, EDF promet que ces travaux permettront à la France de garder son indépendance énergétique. Cela est notamment dû aux coûts des matières première : l'uranium qui est disponible en grande quantité et bien réparti contrairement aux énergies fossiles.

  Un autres des avantages de ce Grand Carénage, c'est son coût. En effet les 45 milliard d'euros que représente ce chantier sont énormes. Mais ce n'est rien comparé au coût envisagé pour remplacer toutes les centrales. De plus, la filière nucléaire française emploie près de 220 000 personnes et représente une fierté technologique et industrielle. Peu de pays maîtrisent aujourd'hui cette source de production d'énergie. 

  Malgré quelques détracteurs qui militent pour une production 100% renouvelable, EDF répond que même si hypothétiquement ce projet est envisageable, il n'est pas viable car de nos jours, on ne peut pas stocker durablement de l'énergie. Comment faire en hiver, avec la hausse de la consommation d'énergie et des centrales solaires fonctionnant au ralenti. Impossible non plus de construire de nouveaux barrages, les fleuves français ont déjà atteint la limite. Quant à l'éolien, pour remplacer une centrale nucléaire de 1800 MW fonctionnant normalement, il faudrait 4 000 éoliennes. Selon EDF, il serait même dangereux d'évoluer trop vite vers une production 100% renouvelable. Comme on peut le voir en Allemagne. Le pays a investi dans le solaire et l'éolien ces dernières années. Résultat son parc est 3 fois plus puissant que le parc français. Pourtant il produit 3 fois moins. Résultat, le pays est obligé de recourir aux centrales à gaz et à charbon, très polluantes. Ainsi, malgré des centrales solaires et éoliennes, l'Allemagne rejette presque 10 fois plus de CO2 dans l'air qu'EDF. Ce bilan carbone déplorable pousse donc EDF à se concentrer sur le nucléaire, plus stable et plus viable de nos jours.

  Enfin, l'un des derniers avantages de ce chantier titanesque, c'est le coût de l'électricité. La France possède l'un des coûts les plus faible de l'Europe. 1 KW coûte 0.1546 € aux français. En comparaison, la même quantité d'électricité coûte 0.3088 € en Allemagne. C'est l'un des arguments avancés par EDF pour le Grand Carénage.


4 - Les dangers et inconvénients de ce projet controversé 

  Malgré tous ces arguments avancés, le projet d'EDF comporte toujours de nombreux détracteurs notamment des associations écologiques. La plupart remettent en cause la sûreté des centrales. En effet, tous les ans des activistes arrivent à entrer dans l'enceinte des centrales nucléaires pour démontrer des manquements à la sécurité. Le survol en drone de ces sites sensibles est aussi une preuve de la faible sécurité alentour des centrales.

  Avec la conjecture actuelle, l'une des plus grosses craintes en termes de sécurité serait la prise d'un site nucléaire par un groupe terroriste ayant pour dessein de créer une catastrophe nucléaire de grande ampleur. Même si EDF se veut rassurant sur ce point et sur la sûreté intérieure au sein de ses installations, le doute persiste et les craintes paraissent justifiées.

  Avec l'accident de Fukushima en 2011, le nucléaire est encore plus critiqué en France. Certains réacteurs, notamment les plus anciens ne respectent plus du tous les normes en matière de sécurité. De plus, certains ont vu leur production baissée dû au vieillissement des installations. Les habitants situés à proximité des centrales se plaignent aussi du danger permanent que représentent ces « bombes à retardement ». Les tours aéroréfrigérantes sont aussi critiquées pour leur aspect qui dégrade le paysage alentour.

  L'un des plus gros points de désaccord au sein du débat nucléaire reste les déchets. En effet une centrale nucléaire, même si elle ne rejette pas de carbone lors de la production d'énergie, elle produit des déchets. Et ces déchets ne sont pas tous traitables.

©Wikipedia

  La plus grosse partie des déchets issus de la production électronucléaire sont stockés car non traitables. Parmi eux, les plus dangereux sont ceux avec une durée de vie supérieure à 31 ans et possédant une haute activité. Ils sont vitrifiés puis entreposé dans des piscines car ils dégagent encore beaucoup de chaleur. L'un des problèmes soulevés par les associations luttant contre le nucléaire c'est la gestion de ces déchets. En effet, comme on ne peut les retraiter, on se contente de les entreposer. Malheureusement, ces déchets s'accumulent et les générations futures risquent de voir les sols pollués par l'accumulation de ces déchets en sous-sol. Une contamination du territoire par ces matière rendrait la zone durablement contaminée et inutilisable pendant au moins un demi-siècle.

  Le coût du projet et de la filière nucléaire en générale est aussi très controversé. Depuis 1945, presque 200 milliards d'euros ont été dépensé dans la recherche et la construction de centrales. C'est un chiffre astronomique et avec les futurs coûts d'entretiens et de maintenance des centrales, la note risque d'augmenter significativement.

5 - Conclusion sur le projet et ses enjeux

  Le Grand Carénage est lancé et pour l'instant il n'est pas près de s'arrêter. Il appartient désormais à EDF de prouver que ses tranches les plus vieilles peuvent, après des travaux et des remises à niveau en termes de sûreté et de sécurité, atteindre l'âge de 50 à 60 ans de production.

  Avec un contexte de crainte vis-à-vis du nucléaire, l'entreprise se doit d'être la plus transparente et la plus rassurante possible quant à la gestion de ses installations.

  Malgré tout, les premiers résultats sont déjà arrivés et EDF est confiant pour l'avenir. Certains travaux ont pu être évités, d'autres reporté et les comptes semblent montrer que le projet pourrait coûter moins cher que les 45 milliards prévus initialement. La filière nucléaire française semble bien se portée et pourrait même voire des améliorations d'ici à la fin du projet avec l'embauche de nouvelles personnes et les besoins dans les compétences très spécifiques lié à cette énergie.

  Il est tout de même important de noter que le prolongement de vie de ces centrales n'est qu'éphémère. Un jour ou l'autre elles arriveront définitivement en fin de vie et il faudra alors penser au démantèlement et à la gestion durable des déchets notamment pour les générations futures.

Sources :

Romain DUPRE 

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