Littérature
Découverte de : “Sorcières. La puissance invaincue des femmes” de Mona Chollet, 2018
1-Du silence à la renaissance, le pouvoir de la parole
"Le plus souvent dans l'histoire, Anonyme était une femme. Le féminisme est une révolution, pas un réaménagement des consignes marketings."
Charlotte Bienaimé, Un podcast à soi
Écrire un livre féministe n'est pas anodin, car le féminisme n'est pas un combat comme les autres. D'une part ce n'est pas une minorité qui est oppressée et d'autre part pour beaucoup le combat semble déjà gagné. Quand on aborde le sujet du féminisme, on se heurte souvent à un déni, une minimisation voir à l'ignorance complète du problème. Combien de fois en abordant le sujet j'ai pu entendre "Ça va on a les mêmes droits que les hommes, on est plus dans les années soixantes", "De quoi tu te plains? Tu peux travailler, gagner le même salaire qu'un homme". Le plus souvent les problèmes passent à la trappe, on nous insinue que ce combat est caduque. C'est pour ça que briser le silence sur le sujet est périlleux et que prendre la parole pour lutter est nécessaire.
« On ne peut pas être populaire dans le féminisme ! Forcément, la démarche prend la société à rebrousse-poil et implique quelque chose d'ingrat, de pénible. »
Mona Chollet ,12 novembre 2015,Entretien inédit pour le site de Ballast
Le mot fait peur : Sorcière. Il évoque dans l'imaginaire collectif la femme vieille, méchante, maléfique, hargneuse et jalouse. Et si ce mot, tout comme l'image de la femme avaient été biaisés par des centaines d'années d'écrasement et de domination des hommes sur l'Histoire? Il est temps de redéfinir ce mot, il est temps pour la femme de se réapproprier son histoire et de réinventer son devenir.
Sorcières. La puissance invaincue des femmes s'articule autour d'une chronologie historique. Mona Chollet raconte l'apparition la sorcière, jusqu'à l'appropriation de cette icône à notre époque. Cette analyse se fait au travers de trois figures de femme, la femme indépendante, la femme sans enfant et la femme âgée, qui ont été les archétypes des victimes de la chasse aux sorcières .
Briser la loi du silence, démonter les idées reçues, déterrer
un passé sordide pour mieux comprendre le présent c'est ce qu'entreprend Mona
Chollet dans la première partie de son ouvrage. Elle retrace avec des mots
justes et poignants, toutes les persécutions minimisées, oubliées et fantasmées
subies par les femmes accusées de sorcellerie."Et, en effet, le récit des tortures est insoutenable: le corps
désarticulé par l'estrapade, brûlé par des sièges en métal chauffés à blanc,
les os des jambes brisés par les brodequins." Elle nous rappelle que cette
barbarie a atteint son paroxysme entre le 17ème et 18ème siècle, et que le
fanatisme religieux y était finalement pour peu dans ces meurtres de masse. Les
femmes étaient les boucs émissaires, accusées de sorcellerie la majorité du
temps sans preuve, ces accusations représentaient un exutoire de la violence et
permettaient de se débarrasser de femmes trop influentes.
Ce mythe des sorcières, ces événements passés ont façonné la société misogyne dans laquelle nous vivons. La place de la femme a été forgée par des siècles de persécution irraisonnée et normalisée. Cette violence s'est peu à peu institutionnalisée et a incité les femmes à l'autocensure. Rentrant dans nos mœurs la chasse aux sorcières n'avait plus lieux d'être. Dès la fin de ses atrocités de nombreux états d'Europe ont mis en place des lois liberticides pour les femmes, les soumettant ainsi à leurs père, frère ou époux. "Les chasses auront rempli leur office: plus besoin de brûler de prétendues sorcières, dès lorsque la loi "permet de brider l'autonomie de toutes les femmes"..."
2-Mais qui es-tu Sorcière?
Elles sont indépendantes des hommes, célibataires ou veuves, elles se construisent et se définissent par elles-mêmes. Vivre pour soi quand on est une femme c'est se heurter au jugement, c'est défier les règles tacites qui nécrosent nos sociétés. Car oui la bonne épouse, la bonne mère, la bonne ménagère est au antipode de la sorcière, représentante du monde sauvage, de la puissance féminine.
C'est un carcan duquel il est difficile de s'échapper, l'autonomie n'est pas faite pour les femmes, et tout dans notre culture le rappelle "Cela ne signifie pas qu'un homme ne peut pas souffrir de manque affectif ou de solitude; mais, au moins, il n'est pas environné de représentations culturelles qui aggravent-ou qui créent- la misère de sa situation." Un simple exemple suffit : une "femme à chat" désigne une femme célibataire généralement âgé,on retrouve dans cette expression le familier de la sorcière.Cette expression peu flatteuse n'a pas d'homologue masculin, pourquoi ? Parce que l'indépendance n'est pas une qualité destiné aux femmes."Rien, dans la façon dont la plupart des filles sont éduquées, ne les encourage à croire en leurs propres forces, en leurs propres ressources, à cultiver et à valoriser l'autonomie." souligne Mona Chollet.
La femme qui contrôle son ventre, contrôle sa vie, et ça l'état l'a bien compris, il s'efforce alors à coup d'injonctions sociales ou de lois de priver les femmes de ce choix fondamental. "En Europe le pouvoir politique a commencé à se montrer obsédé par la contraception, l'avortement et l'infanticide à partir de l'époque de la chasse aux sorcières". Il condamne à mort la sorcière, la guérisseuse, celle qui permet l'émancipation du corps.
On aimerait croire que ces temps sont révolus mais Mona Chollet s'interroge sur les pressions qui entourent encore ce sujet. Pour elle c'est évident "Améliorer son sort, ou le rendre simplement vivable, passe par la possibilité de faire les enfants que l'on veut, ou de ne pas en faire du tout.". Et pourtant tout nous rappelle à la maternité, les poupons offerts aux toutes petites filles, les contes où vivre heureux semble inséparable à la notion d'avoir beaucoup d'enfants, la pression familiale qui nous rappelle que l'horloge tourne. C'est comme si c'était inscrit au fer rouge dans notre chaire, une sorte de fatalité, de chemin logique à prendre. Comme si l'accomplissement de notre vie se résumait à enfanter, comme si ne pas avoir envie d'être mère nous rendait anormale, incomplète. "En outre, compte tenu de la propagande omniprésente en faveur la famille, on peut présumer qu'un grand nombre de parents ont cédé à une pression sociale plutôt qu'à un élan propre". Sans compter sur la menace de finir "femmes à chats", susciter la pitié et l'interrogation des gens pour ne pas s'être conformée, pour avoir choisi "une vie à soi".
C'est une de ses caractéristiques les plus communes, elle est vieille, et de ce fait hideuse. La sorcière est d'un aspect repoussant, mais pourquoi le visage d'une vieille femme suscite autant de rejet? Mona Chollet nous éclaire de sa propre expérience "Il m'a fallu un certain temps pour me persuader que ce n'était pas une insulte[on venait de l'appeler Madame ] et que ma valeur ne dépendait pas de ma jeunesse". Le voilà le problème, notre regard sur les femmes âgées s'est construit par le prisme patriarcal de la société."Nous apprenons très tôt à nous enorgueillir de notre distance -et de notre supériorité-par rapport aux vieilles femmes", citation de Cynthia Rich dans le livre. Sous représentée dans l'art et la culture, la femme âgée n'a plus sa place sur le devant de la scène, au contraire des hommes qui peuvent encore être playboy à 50 ans passée. Dans les contes la "vieille sorcière" cherche à s'accaparer la jeunesse d'une innocente, cette image d'une vieillesse tabou qu'il faut vaincre par tous les moyens s'illustre dans notre société par tous ces produits anti-âge acclamés par la presse féminine où les canons de beauté sont des femmes qui dépassent rarement la trentaine.
3-"Mettre ce monde cul par-dessus tête"
Sorcières. La puissance invaincue des femmes, pousse le lecteur à s'interroger sur le rôle social que l'on attribue aux femmes. On y découvre des points de vue et des témoignages de personnes dont la voix n'est jamais entendue, d'autres modèles et d'autres façons de vivre. Pour Mona Chollet il est urgent de réinventer cette société sur le déclin. Et l'art pourrait bien être le premier déclic " Il nous fait prendre conscience de ce que les représentations auxquelles nous sommes habitués et qui nous ont façonnés ont d'arbitraire, de relatif, de contestable."

CLAVEL Lucie
Sources :
"Sorcières. La puissance invaincue des femmes", Mona Chollet, édition Zones, 2018.
Site :
Lucie CLAVEL